Témoignages

Témoignage : les craintes d’une interne en chirurgie face à l’épidémie.

Je suis interne en chirurgie. Dans mon service, avec l’épidémie, toutes les opérations « non urgentes », c’est à dire celles de confort, ont été annulées. Notre activité est donc au ralenti depuis le début de l’épidémie.
Certains de mes collègues, eux, sont au pied de guerre, notamment les internes d’anesthésie réanimation, avec qui j’ai l’habitude de travailler au bloc opératoire. De mon côté, je tourne en rond et je veux aider.


Quand mon association d’interne a recensé les volontaires, j’ai accepté d’être de participer à l’accueil des patients suspects de COVID. Dans notre hôpital, comme dans beaucoup d’autres certainement, les masques sont distribués au compte goutte avec notre matricule. Au bloc ce sont les aide-soignants qui les distribuent un par un…

Quand on m’a proposé d’aller au urgences, je me suis renseignée sur le matériel disponible. Les masques FFP2 (les seuls protecteurs dans les soins rapprochés) sont gardés par l’infirmière cadre de garde, comme un lingot en banque. Chaque prélèvement, pour tester un patient ou un soignant est l’occasion d’une négociation âpre entre elle et les internes.

Cela m’a causé beaucoup d’anxiété, j’ai même paniqué la veille de ma prise de fonction. L’angoisse d’être exposée et même de renoncer au matériel de protection par crainte de devenir agressive, si on me refuse l’accès à un masque.

J’ai donc décidé de ne pas accepter cette fonction d’accueil et de me cantonner à mon service de chirurgie et à mes gardes habituelles.

Je ressens une sorte de culpabilité et un sentiment d’inutilité totale.
Je pense aux internes de médecine générale que ça n’a pas l’air d’effrayer. Mon anxiété me semble absurde car au bloc nous sommes continuellement exposés aux germes de toutes sortes. Je ne me sens plus crédible dans ce rôle d’interne du système de santé publique.

Vous aussi vous voulez témoigner ? Envoyer votre témoignage ici.

Nombreux sont les internes, comme elle, qui exercent dans une spécialité dans laquelle l’activité à diminué, qui se sentent inutiles et qui se sont portés volontaires.

Il peut être extrêmement stressant de changer de fonction, de service. Il est normal de ressentir de l’anxiété quand on est plongé dans un environnement qu’on ne connait pas, quand on sait qu’on va arriver dans un service sans accueil, sans connaissance, sans matériel. Aux urgences, les conditions de travail sont en plus particulièrement stressantes.

Il ne faut pas s’en vouloir de ne pas en être capable. Des centaines d’internes se sont portés volontaires, et d’autres, plus habitués à ces services, sont disponibles, vous n’allez pas manquer, vous avez le droit de ne pas y arriver, d’avoir des limites.

Avant de commencer une nouvelle fonction, il ne faut pas hésiter à « aller voir », rencontrer les équipes, se présenter, avant une prise de fonction. On est généralement bien reçu ! Sinon, il ne faut pas hésiter à dire non !
Quand l’accueil n’est pas correct, ou que le matériel de protection n’est pas disponible, il faut se plaindre, par écrit à la direction des affaires médicales en mettant son syndicat en copie.

Beaucoup d’interne en chirurgie sont mobilisés face à l’épidémie dans les régions touchées, d’autres nous font remonter cette impression d’inutilité qui peut se manifester par de la colère. Habituellement les internes en chirurgie travaillent énormément et affrontent des situations particulièrement stressantes. Ce changement de rythme peut sembler très déstabilisant. D’autant plus que le virus est invisible et que nous sommes très dépourvu de traitement. Il est tout à fait normal d’être en colère quand on manque de matériel de protection et qu’on doit se battre pour obtenir ce qui est normal, cette situation est intolérable.

Dans les hôpitaux, se montent des équipes de Décubitus Ventraux (DV), les internes en chirurgie en font parfois partie pour aider à retourner les patients en réanimation, les mettre sur le ventre pour éviter que les poumons des patients ne restent dans la même position et soient écrasé dans le dos. Il y a aussi besoin d’aide à la régulation téléphonique ou même dans les cellules d’aide et de soutien.


Et s’il n’y a pas besoin d’aide, comme encore dans beaucoup de régions peu touchées, il faut arriver à l’accepter.

Comprendre qu’on ne peut pas toujours être le plus utile au coeur de l’action, dans les situations exceptionnelles. Prendre du temps pour soi, pour ses projets, ses passions, appeler ses proches. Il n’y a aucun mal à ça.

Pensez aussi à discuter avec vos collègues et ne pas hésiter à dire ce qu’on a sur le coeur.
Il existe de nombreuses cellules d’écoute entre confères et consoeurs : https://www.notion.so/Pr-vention-des-risques-psychosociaux-57bb61233a4144919941f115f8cc1732
On a aussi besoin de vos témoignages pour faire changer les choses :
https://isni.fr/appel-a-temoignage-covid-19/

Vous êtes exceptionnels, prenez soin de vous, on est là pour vous.

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ISNI

L’InterSyndicale Nationale des Internes représente et rassemble les internes de France métropolitaine et des DROM-COM depuis 1969. L’ISNI représente plus de 12 000 internes, répartis dans les associations et syndicats de subdivisions membres.

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2 commentaires

  1. Même sentiment, pourtant interne de DES MU, je n’ai pas encore été réquisitionné mais j’ai une trouille pas possible de me retrouver en première ligne. Je culpabilise beaucoup et suit incapable d’entreprendre quoi que ce soit pendant ce temps mort…

    Courage à tous

  2. Bonjour , ne pointes tu pas un des dysfonctionnements de l hôpital assez tabou : la toute puissance des cadres infirmiers et le manque d autorité médicale. Comment un ou une cadre peut elle refuser ou faire de la résistance pour donner un masque FFP2 ou autre masque à un interne de médecine. Incompréhensible!
    Cette mise en stand by de toutes les autres activités médicales, chirurgicales ou psychiatriques pour le covid 19 est déstabilisante pour les soignants. C est peut être justifié dans les régions où passe le tsunami mais pas dans les régions très peu touchées. Il suscite sentiment d ennui, d inutilité et remise en question chez certains soignants.

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