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Témoignage : La psychiatrie durement touchée par l’épidémie de COVID-19

Si les mesures sanitaires pour face au Covid-19 sont justifiées, leur application sans discernement peut créer des situations dramatiques dans des structures de soins souvent déjà sous-dotées en équipement et en personnel.

Vous retrouverez ci-après le texte d’un·e interne de psychiatrie qui nous parle de façon juste et lucide de la situation dans son service où les patient·es atteint·es de troubles mentaux sont particulièrement en difficulté face au confinement et à la situation épidémique.

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<< Non loin des services de réanimation ou d’urgences, où mes collègues luttent chaque jour autant qu’ils peuvent, je crois qu’un autre drame se joue, plus discret, et moins bruyant, dans nos services de psychiatrie. Moins visible, il n’en reste pas moins terrible.

Je suis interne dans un service de psychiatrie « de secteur » comme on dit, dans un hôpital psychiatrique de banlieue parisienne. Depuis un mois maintenant, la crise sanitaire et l’épidémie de CoViD19 ont radicalement transformé la vie du service où je travaille, pour mes patients comme pour nous soignants, et chaque jour je déplore d’avoir du faire des choix, d’avoir dit des choses, que jamais je n’aurais imaginés. Le nouveau protocole est clair : tout nouveau patient entrant doit être examiné par un médecin généraliste ou urgentiste avant son entrée, puis doit resté confiné dans sa chambre 14 jours, sans contact avec les autres patients. Pour tous, y compris ceux qui sont hospitalisés depuis l’avant confinement : pas de sorties, pas de visites, pas de permissions, pas d’activités de groupe.

Des consignes indispensables sans doute ; mais bien éloignées du monde des possibles en psychiatrie.

La réalité, ce sont les protocoles de chambre d’isolement que je signe régulièrement, pour des patients qui n’en ont pas besoin, qui ne sont ni violents, ni agressifs, ni agités, mais qui sont juste incapables de porter un masque, de se laver les mains, et de rester seuls dans leur chambre 14 jours, qui sortent de manière intempestive sans comprendre ce qui leur apparait comme une consigne absurde. Solution ? On les enferme à clé (et on les sédate), avec ou sans protocole d’isolement d’ailleurs. Cette situation réveille des débats interminables et insupportables au sein d’une équipe séparée en deux clans : les inconscients qui osent laisser des libertés aux patients, et les excités qui vocifèrent leur devoir de protéger les autres patients.

La réalité, ce sont mes patients qui me demandent chaque jour pourquoi ils ont entendu le Président dire à la télévision qu’on peut sortir 1h par jour alors qu’à eux on ne leur en donne pas le droit, c’est moi qui ne sait pas quoi leur répondre, c’est cette patiente qui me dit « on est deux fois enfermés », c’est la violence de leurs mots contre nous. Mais nous, le personnel, nous ne sommes pas assez nombreux, pour les accompagner, sortir 1h dehors, acheter des produits de première nécessité pour eux ; et certains attendront encore 2 ou 3 semaines avant de pouvoir s’acheter ce dont ils ont besoin.

La réalité, c’est cette jeune patiente, hospitalisée pour une tentative de suicide, victime de violences sexuelles et familiales, qui reste à l’hôpital depuis des semaines et des semaines parce qu’aucun foyer n’accepte de l’accueillir actuellement. A moins de pouvoir fournir la preuve d’un test de dépistage du COVID-19 négatif, test que nous n’avons ni le droit ni les moyens de lui faire passer de toute façon. On passe parfois même une journée entière sans pouvoir prendre la température des patients, faute de protège-thermomètre en plastique, c’est dire.

La réalité, c’est cette patiente délirante, bien connue du service, qui a fugué de mon unité il y a un mois maintenant, persuadée qu’elle pouvait vaincre le coronavirus et ne supportant pas l’interdiction de sorties : « je peux guérir le monde, je suis le premier des docteurs du pays » disait-elle. Retrouvée quelques semaines plus tard alors que j’étais de garde : dans un état lamentable, dormant sous la crasse de ses cartons, affamée, dans le parc de l’hôpital, et qu’on ne m’a pas autorisée à réhospitaliser d’emblée car le fameux protocole exigeait qu’elle soit examinée aux urgences avant, urgences où elle n’a pas voulu se rendre. En temps habituel, j’aurais pu lui proposer de l’hospitaliser directement en psychiatrie, mais là, non. L’administration est intraitable : ce n’est pas possible. Je l’ai laissée dehors, dans le froid. Jamais je ne me pardonnerai ça.

La réalité, c’est l’unité « COVID » de mon hôpital qui accepte de prendre les patients diagnostiqués COVID positifs avec des troubles psychiques pour soulager les services de psychiatrie, mais attention, uniquement ceux qui ne vont pas trop mal (tant sur le plan psychique que somatique), qui sont calmes, qui ne posent aucun problème de comportement. Bref, ils ne prennent pas grand monde.

La réalité c’est aussi moi, l’interne, moi qui galère seule sur mon unité car mes deux chefs gardent leurs enfants, moi qui porte le même et unique masque toute la journée quand je n’ai pas le luxe d’avoir droit à un deuxième, qui passe mes journées à ressasser des consignes contradictoires aux patients.

Mais ce sont surtout des patients qui ne vont pas bien, qui ont peur de vous voir porter un masque, qui ne comprennent pas pourquoi vous ne leur serrez pas la main, qui délirent sur le virus ; ça c’est peut être inéluctable, et propre à leurs pathologies, mais si seulement nous étions plus nombreux au moins pour s’occuper d’eux… Je perçois la psychiatrie comme laissée pour compte aujourd’hui, et cette épidémie est une terrible épreuve pour nombre de services comme le mien je pense, dont j’espère que nous nous relèverons. >>

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L’InterSyndicale Nationale des Internes représente et rassemble les internes de France métropolitaine et des DROM-COM depuis 1969. L’ISNI représente plus de 12 000 internes, répartis dans les associations et syndicats de subdivisions membres.

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4 commentaires

  1. tenez bons,on l’abattra comme il nous abat chaque jours qui passent,ce putain de conard de virus!!!!!!!!!..merci 100miles fois pour tous ce que vous pouvez faire pour nous sauver d’une mort certaine !!bon courage!!!!!!!!

  2. Des primes ? Est-ce une reconnaissance ? … Est-ce cela qui améliorera les conditions d’hospitalisation ? Si l’on estime que la santé est une priorité il faut cesser demander aux soignants de gérer la pénurie de moyens en matériel, en personnel. Cesser de croire que l’hôpital est une entreprise qui doit rapporter. Cesser de coter des actes médicaux et négliger l’immense rôle propre infirmier fait de temps, d’attention, de respect pour l’humain, d’actes pas toujours quantifiables mais essentiels. Combien ignore le temps que peut prendre l’écoute d’une personne angoissée ou délirante afin qu’elle s’apaise ?
    Ne pas oublier de reconnaître les techniques, le professionnalisme. Est-il vraiment possible de considérer la santé sans s’intéresser à celle des soignants ? Peut-on imaginer qu’un soignant qui agit au quotidien contre des valeurs humaines et professionnelles va rester en bonne santé voire rester soignant ? Quand nos gouvernants vont-ils montrer de la considération pour les métiers qui permettent d’entretenir la vie : nourrir, éduquer, soigner – je l’entends au sens large : gérer des ordures ou des déchets c’est aussi soigner par exemple.

  3. Nous sommes le 8 juin… Depuis le 12 mars, presque 12 semaines, ma fille hospitalisée dans un hôpital psychiatrique au Québec, ne peut pas sortir ni avoir de visites… est-ce que c,est comme ça en France? Je remue en vain ciel et terre depuis 8 semaines… Merci

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